Théâtre Alsacien Strasbourg
 
 

La newsletter du TAS, Hors-Série N°6

Tandis que l'été nous quitte et que l'automne prend ses quartiers en imposant ses couleurs chatoyantes, les acteurs de «D'r Herr Maire », la première pièce de la 120e saison du TAS, sont assidus aux répétitions depuis plusieurs semaines. Avant la première, prévue le 4 novembre, nous terminons notre série de l'été par un portrait de Marie-Louise Laffert, comédienne bien connue des spectateurs les plus fidèles, qui fut aussi durant de nombreuses années trésorière de la troupe. A la fin de cette lettre, vous trouverez également le programme détaillé de cette nouvelle saison que nous nous réjouissons de partager avec vous. A très bientôt, dans notre théâtre !  


 

Marie-Louise Laffert : Le théâtre, une histoire de famille

 

Marie-Louise Laffert est une vraie Neuhofoise. Elle est née dans ce quartier sud de Strasbourg et nous accueille avec chaleur dans son appartement inondé de lumière de la rue de la Ganzau. Sa voix flûtée, reconnaissable entre toutes, n'a rien perdu de sa pétulance et c'est avec un plaisir communicatif qu'elle évoque ses souvenirs. Son fils Christian, lui-même comédien apprécié et membre du comité du TAS, l'aide à préciser dates et noms et décrit pour elle, sur les pages de ses albums photo, les clichés qu'elle peine à voir puisque, depuis quelques années, la cécité la menace.

 


Peux-tu nous dire quand et comment a commencé ta carrière au TAS ?

J'ai commencé à jouer à la paroisse catholique Saint-Ignace du Neuhof à l'âge de 12 ans. Léonie Bussinger, qui était jeune première au TAS avant-guerre, s'occupait des jeunes en animant des groupes de théâtre et de chant. Elle est notamment connue pour avoir joué le rôle de Marie dans la captation pour le cinéma du «Herr Maire» de Gustave Stoskopf, réalisée par Jacques Séverac en 1939. Elle nous faisait jouer des sketches en alsacien. En 1945, je me souviens avoir joué le rôle-titre de «Blanche-Neige». A l'âge de 14 ans, Léonie, qui était par ailleurs une amie de ma mère, m'a proposé de faire de la figuration dans le conte de Noël du TAS. Mes parents ont accepté parce qu'ils étaient rassurés qu'elle m'emmène en ville avec elle en tram. J'étais fille unique. Ils m'ont beaucoup soutenue, avec mes tantes, dans mon désir de jouer sur scène. Parallèlement, j'ai poursuivi mes études au lycée Pontonniers. J'ai fait de la figuration pendant deux ans, puis on m'a confié mon premier rôle parlant durant la saison 1950-1951 dans « 's Goldele », avec Charlotte Marchal et sa sœur Jeannine. J'ai passé une audition avec monsieur Emile Schmitt, qui était l'un des metteurs en scène. Il m'a fait travailler chez lui rue de la Course, en me donnant à lire des poèmes et des extraits de pièces pour voir si j'étais capable de parler sur scène. Mais j'étais bonne en allemand à l'école, ça m'a donné une certaine assurance.

Après avoir passé mon bac, j'ai débuté comme sténodactylo dans le cabinet d'avocats des frères Lévy, place Broglie. J'y suis restée jusqu'à la naissance de Roland, le premier de mes trois fils.

A 18 ans, je connaissais déjà mon mari Marcel. Il m'a toujours aidée et soutenue dans ma carrière. Plus tard, il m'a aussi aidée en me conduisant partout et en réalisant avec moi des travaux de bureau pour le TAS, notamment la mise sous pli et l'envoi des abonnements, qui représente toujours un travail considérable. Il est apparu une fois sur la scène du TAS, dans des circonstances un peu spéciales : dans une de nos pièces, un guitariste devait jouer quelques morceaux sur la scène, mais le pauvre a été victime d'un accident de chasse. Mon mari a dû le remplacer au débotté. Il est arrivé en courant à l'opéra. Coiffeuse et maquilleur l'attendaient sur le trottoir pour le préparer et les acteurs, sur scène, l'ont guidé à mi-voix. Par chance, il connaissait les airs qu'on lui a demandé de jouer ! Je l'ai croisé plus tard dans les coulisses, une fois sa prestation terminée, et quand je lui ai demandé comment il allait, il m'a dit qu'il commençait à être gagné par un trac rétrospectif ! Après cette expérience un peu extrême, il n'a plus jamais voulu jouer !

Pour ma part, j'étais abonnée aux rôles comiques. Je n'ai presque joué que ça. Je crois que si j'avais dû changer de registre pour jouer dans un drame, les gens auraient ri malgré tout en me voyant arriver sur scène ! En près de 120 pièces, j'ai joué des tas de mégères acariâtres, de méchantes ridicules et de bonnes idiotes. Mais j'ai quand même joué dans quelques drames, et notamment dans « D'r polnisch Jud », d'après Erckmann-Chatrian, et « Himmel ohne Sterne », de Raymond Weissenburger.

J'ai de la chance d'avoir pu jouer au cours de toutes les saisons, sauf lors de mes trois grossesses.

Je me souviens que Félice Haeuser jouait tous les grands rôles avec l'assentiment de tout le monde, car elle était la meilleure d'entre nous. J'ai joué dans ma dernière pièce durant la saison 2011-2012. C'était «Alleluja, hitt isch Oschtere» et j'avais 80 ans.

Quand je repense à ma carrière, je réalise que plus que certains rôles, ce sont mes partenaires qui m'ont le plus marquée : Edmond Reinbolt et Robert Fuger, qui étaient de grands acteurs comiques, Gilbert Wolff, François Antoni, mais aussi Jean-Paul Frindel et Marcel Spegt, bien sûr, ou, plus récemment, Eric Muller. A noter aussi qu'au titre de la reconnaissance de mon engagement culturel et artistique, j'ai eu la grande fierté d'être décorée de la  Médaille d'Honneur du Mérite le 8 octobre 1967 par l'institution « L a Renaissance Française », et, le 1 juillet 1977, de la Médaille d'Honneur du dévouement Artistique et Musical d'expansion philanthropique.

Ma carrière s'est poursuivie jusqu'à l'âge de 80 ans, ou j'ai joué ma dernière pièce : «Alleluja Hit isch Oschtere».

 

Est-ce qu'à l'instar de certains membres de la troupe tu as eu d'autres expériences du spectacle ?

J'ai animé régulièrement des spectacles organisés par l'orchestre de mandolines du Neuhof, dont mon

mari était membre. Avec François Antoni, nous avons joué des sketches que j'ai écrit moi- même , tandis q ue Charlotte et sa sœur Jeannine chantaient des chansons, notamment « O mein Papa », qui était l'un de leurs grands airs.

Plus tard, j'ai écrit et joué des sketches en français pour des événements privés, de même que pour le groupe de tai-chi dont j'ai été membre pendant 10 ans.

Je n'ai pas eu l'occasion de jouer pour la télévision comme d'autres membres de la troupe. L'occasion ne s'est pas présentée, mais je pense que ça m'aurait plu également.

Ton fils Christian est également comédien, tu as transmis le virus du théâtre à tes enfants ?

Durant la saison 1969-1970, Pierre, mon fils cadet, et Christian, le benjamin, sont montés sur les planches. D'autres acteurs ont emmené leurs enfants : Charlotte Marchal sa nièce Danielle Missud, Robert Fuger son fils Christian, ou Yvette et Roger Burckel leur fille Nicole.

Christian intervient dans la discussion pour se rappeler : Le théâtre nous paraissait inaccessible, même si nous venions voir les contes avec nos grands-parents. Quand notre mère nous a demandé si nous voulions faire de la figuration, nous avons accepté avec joie et insouciance. Pour les figurants, l'ambiance était amicale et détendue, nous ne ressentions pas de pression particulière. Et puis il y avait déjà des liens affectifs avec les membres de la troupe que nous connaissions : nous avions déjà l'impression de faire partie d'une grande famille. Pierre était très doué pour la comédie, mais il travaillait déjà dans la restauration, ce qui a empêché sa carrière sur la scène : impossible pour lui de jouer le soir ! Marie-Louise reprend : Dans la famille, c'était naturel de parler du TAS et du théâtre en général. Et puis après avoir été membre du comité en tant qu'assesseure pendant cinq ans, on m'a proposé le poste de trésorière en 1984. La vie de la troupe est donc devenue très centrale dans nos existences.

Peux-tu nous parler de cette expérience ?

Ça a représenté beaucoup de travail et de responsabilités, puisque c'est l'un des postes du comité directeur. A l'époque, Marcel Spegt était président, Gilbert Wolff vice-président et Christian Royer secrétaire. J'ai modernisé le système de gestion. Nous avons pu procéder à de nombreux investissements, notamment l'achat du hangar de Reichstett, où nous stockons depuis décors et accessoires. J'ai occupé ce poste pendant 12 ans.

Après un intermède assuré par les regrettés Gilbert Wolff et François Krieger, c'est mon fils Christian qui a repris le flambeau et qui assume aujourd'hui cette fonction essentielle.

Qu'est-ce que t'évoquent les 120 ans du TAS, que nous célébrons cette année ?

L'espérance d'une continuité, tout en s'adaptant à l'époque actuelle. Il s'agit aujourd'hui de jouer autrement, de présenter d'autres pièces, parce que la vie que nous menons a beaucoup changé. Il faut des formes nouvelles, comme ce que Philippe Ritter va présenter avec le conte de Noël de cette année. Je continue de faire la promotion de notre troupe auprès des gens que je rencontre. Je défends notre travail quand il le faut, devant ceux qui croient que nous proposons un théâtre poussiéreux : nos productions sont audacieuses, nouvelles, loin des clichés !

Quel est ton souvenir le plus mémorable ?

Je me souviens avec beaucoup d'émotion du 50 e anniversaire du TAS, en 1948. Tous les membres de la troupe ont été invités au Bäckehiesel, à l'Orangerie, qui était un restaurant assez chic. J'étais encore très jeune et c'est la première fois que j'ai participé à ce genre d'événements. C'est aussi la première fois que j'ai vu tous les membres de la troupe réunis.

Mais au fond, le souvenir le plus marquant est celui de la camaraderie qui nous a toujours unis au sein de la troupe. Je n'ai jamais ressenti aucune jalousie entre nous. Nous organisions beaucoup d'événements en privé. Mon mari et moi possédions une caravane sur un terrain près de Niederbronn, et nous y organisions tous les ans une fête avec les gens de la troupe. Les conjoints et les enfants étaient évidemment invités, certains venaient déguisés. Je garde un souvenir ému de l'amitié qui nous unissait. Aujourd'hui, nous nous voyons moins, ce que je regrette beaucoup. J'assiste encore aux représentations et je participe aux assemblées, mais je ne vois hélas plus assez pour pouvoir m'engager plus que ça.

Pour finir, quel est ton lieu préféré à Strasbourg ?

Sans hésiter, le parc de l'Orangerie, où je me promenais quand j'étais petite avec ma mère. Nous aimions regarder et nommer les fleurs et les animaux. Elle m'offrait une glace en été et un chocolat chaud en hiver. Une fois mariée et mère moi-même, j'y suis beaucoup allée avec mes enfants. J'y ai souvent retrouvé mon fils Christian entre midi et deux. Nous pique-niquions au bord du lac avant qu'il ne retourne au travail. Je garde aussi une tendresse particulière pour le pont aux Chats, S'Katzebrickel : quand je travaillais rue des Veaux, je le voyais depuis la fenêtre de mon bureau. Mon fiancé, Marcel, qui est devenu mon mari par la suite, m'attendait le soir sur ce pont pour me raccompagner avec son vélo jusqu'au tram... Strasbourg est aussi une ville romantique !

 

Propos recueillis par Stéphanie Schaetzlé et Elisabeth Ritter

 

 


 

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